Marques en Russie : quelles sont encore présentes dans le marché ?

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Un chiffre, puis un silence : plus de 250 grandes marques étrangères ont annoncé leur retrait de Russie depuis 2022, mais derrière cette statistique, la réalité est tout sauf binaire. Certaines enseignes internationales n’ont jamais officiellement quitté la Russie, malgré la vague de retraits amorcée en 2022. D’autres continuent d’opérer sous de nouvelles entités juridiques, ou via des partenaires locaux qui exploitent les anciens magasins sous un autre nom.

Le paysage commercial russe affiche ainsi une mosaïque complexe, où la présence de groupes occidentaux se traduit par des stratégies d’adaptation, de contournement ou de repositionnement. Ces dynamiques modifient l’offre disponible, les pratiques de consommation et la concurrence, en particulier dans le secteur de la mode.

Panorama actuel : quelles marques occidentales restent actives en Russie ?

Tout n’a pas disparu des rayons russes. Leroy Merlin continue d’afficher ses couleurs sur plus d’une centaine d’adresses, malgré le départ annoncé par la maison-mère Adeo. Officiellement, la gestion est désormais purement locale, mais pour le consommateur russe, l’expérience en magasin n’a guère changé : l’approvisionnement, les gammes, tout reste en place. Côté boissons, Coca-Cola a gelé ses investissements, mais ses sodas sont toujours présents, parfois sous d’autres noms, grâce à des distributeurs russes qui assurent la continuité. La frontière entre ce qui relève d’une présence officielle et ce qui circule via d’autres réseaux devient difficile à tracer.Le secteur de la grande consommation déploie plusieurs tactiques. Certaines enseignes gardent un pied direct sur le sol russe, d’autres ont préféré céder leurs filiales à des sociétés locales ou régionales. Prenons McDonald’s : les arches dorées ont disparu, mais les restaurants, désormais exploités par une entreprise russe, proposent toujours les mêmes menus, sous une nouvelle enseigne. Même logique dans la mode et la distribution spécialisée : d’anciens magasins occidentaux poursuivent leur activité, affichant désormais une bannière locale.

Plusieurs tendances se dégagent, illustrées par ce qui se passe sur les étagères et dans les vitrines :

  • Marques russes : elles saisissent l’opportunité pour renforcer leur présence et séduire une clientèle en quête de repères locaux.
  • Marques turques et chinoises : elles s’implantent massivement, profitant du retrait des groupes occidentaux pour répondre à la demande.

En clair, l’offre occidentale n’a pas totalement disparu. Les produits restent accessibles, parfois par des réseaux parallèles, parfois sous de nouvelles étiquettes. Le marché russe conserve une diversité inattendue, résultat d’un équilibre instable entre adaptation, contournement et recomposition.

Sanctions et stratégies d’adaptation : comment les entreprises naviguent dans un marché sous pression

Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie est devenue un terrain d’expérimentation pour les multinationales. Les sanctions occidentales frappent de plein fouet : accès restreint aux capitaux, aux technologies, et à une partie des débouchés mondiaux. Face à la pression des actionnaires et des opinions publiques, les groupes occidentaux réévaluent leurs positions. Partir coûte cher : actifs bloqués, ventes précipitées, parfois même expropriations à peine déguisées.Pour rester, il faut ruser. Certaines entreprises délèguent la gestion à des partenaires russes, d’autres lancent des marques sans logo ou passent par des circuits détournés. Les itinéraires des marchandises changent : le Kazakhstan, la Turquie ou l’Arménie deviennent des hubs pour faire transiter les produits occidentaux vers la Russie. Dans ce jeu complexe, les marques turques et chinoises gagnent du terrain, occupant les places laissées libres par les enseignes d’Europe ou d’Amérique.Le Kremlin appuie sur l’accélérateur de l’autonomie économique. Vladimir Poutine encourage la substitution des produits étrangers par du local, poussant les industriels russes à prendre le relais. Le soft power occidental marque le pas, alors que les alternatives russes et asiatiques séduisent progressivement les consommateurs. Pour certains habitués à des marques comme Coca-Cola, l’offre change, mais la demande persiste. Les repères bougent, mais la consommation s’adapte.

Le secteur de la mode face à la recomposition du paysage commercial russe

Les rues commerçantes de Moscou n’affichent plus les mêmes noms. Le secteur de la mode en Russie a connu un véritable bouleversement avec le retrait progressif des marques occidentales. Zara, Massimo Dutti, Bershka : autant d’enseignes remplacées par de nouveaux acteurs, souvent locaux ou venus de pays voisins. Un exemple frappant : Zara a été reprise et rebaptisée Maag, conservant une partie de l’esprit d’origine tout en adaptant l’offre aux attentes du marché russe.Les marques françaises comme Cacharel Paris ou Lacoste préfèrent désormais s’appuyer sur des licences ou franchises, ce qui leur permet de rester discrètement présentes. Sur le terrain, les marques russes telles que Lesyanebo, Monochrome ou Ushatava s’installent dans des emplacements stratégiques et séduisent une clientèle désireuse d’afficher une identité nationale plus affirmée, moins dépendante des tendances internationales.Les marques turques et chinoises, elles, multiplient les ouvertures dans les galeries commerciales. Les enseignes turques, notamment, attirent un public en quête de nouveautés et de prix abordables. Les griffes chinoises progressent rapidement, portées par leur capacité à renouveler l’offre et à répondre vite à la demande.La Fashion Week de Moscou illustre ce tournant : les créateurs russes y occupent désormais le devant de la scène, proposant des collections qui revendiquent l’autonomie et la créativité locale. Dans ce nouveau décor, les acteurs locaux misent sur la réactivité et le patriotisme économique pour tirer leur épingle du jeu.Homme russe dans un marché de rue animé en ville

Vers 2025 : quels scénarios pour l’avenir des marques internationales en Russie ?

Difficile de lire dans le brouillard de l’actualité. Le destin des marques internationales en Russie dépendra des soubresauts géopolitiques, des sanctions, et d’un nationalisme commercial qui ne cesse de s’affirmer. Les positions évoluent au gré des décisions politiques et des intérêts économiques.Trois trajectoires se dessinent pour les prochains mois. D’abord, la résilience de quelques enseignes occidentales : Leroy Merlin, Auchan, qui poursuivent leur activité en s’adaptant localement. Ensuite, la percée des marques turques et chinoises, qui s’installent durablement et gagnent des parts de marché dans la distribution, la mode ou l’électronique. Enfin, la montée des marques russes, encouragées par les autorités et portées par une clientèle attachée à la production locale.

Voici les scénarios qui pourraient façonner le commerce russe à court terme :

  • Scénario d’enlisement : le statu quo se prolonge, avec un marché fragmenté dominé par des acteurs non occidentaux.
  • Scénario de retour progressif : certains groupes occidentaux pourraient revenir, via des accords ou des licences, si le contexte se détend.
  • Scénario de substitution : le remplacement rapide des marques occidentales par des alternatives turques, chinoises ou russes, avec des consommateurs qui s’adaptent.

Le marché russe reste vaste, imprévisible, souvent opaque. Les stratégies évoluent au fil du temps, chaque acteur tentant de défendre sa place sans franchir les nouvelles lignes rouges. Rien n’est figé : demain, les vitrines pourraient bien raconter une toute autre histoire.